
La transformation du pèlerinage :
nouvelles motivations pour les pèlerins
L'église Saint-Germain d'Auxerre à Navarrenx. A la fin de leur étape, quelques pèlerins assistent à une messe, spécialement donnée pour eux. L'occasion de réaffirmer leur foi.
Sur quoi se basent les tracés contemporains du chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle ? Si l'héritage historique du pèlerinage a son importance, le patrimoine, la culture, et la logistique de structures d'accueil, propices à l'hébergement de pèlerins jouent un rôle majeur dans l'établissement d'itinéraires adaptés à la pratique.
Un taxi pour de gros bagages. Dans le minibus de Rémi, les sacs de randonnée et les bâtons de marche s'amoncellent. Le jeune homme d'une trentaine d'années est chargé de transporter ces affaires d'une étape à une autre : « Certains pèlerins nous demandent cela pour leur éviter d'avoir à porter un sac de 10kg à longueur de journée. » Sur le flanc du véhicule, le logo de l'entreprise : « Taxi Claudine ». La société, qui compte 12 salariés, couvre un vaste territoire : de Conques (Aveyron) à Saint-Jean-Pied-de-Port (Pyrénées-Atlantiques). « Nous faisons du transport de bagages, et à moindre mesure, du transport de personnes », explique le chauffeur.
En pratique, le pèlerin contacte l'entreprise, lui laisse ses affaires, et ne garde que le strict nécessaire pour sa marche du jour. Il retrouvera son sac le soir-même, dans l'hébergement qu'il a réservé. Des entreprises comme celles-ci, il en existe plusieurs autour du chemin. La plupart sont récentes : c'est le cas de « Taxi Claudine », qui compte trois années d'existence. D'autres sont considérées comme de véritables institutions, comme l'entreprise « Express Bourricot », installée à Saint-Jean-Pied-de-Port, et créée en 2004.
Voyager léger. Dans les représentations, le procédé divise : « Le sac à dos du pèlerin, c'est sa croix, son fardeaux », confie Arnaud, marcheur quarantenaire. Le Miam-Miam Dodo, un guide très largement plébiscité par les pèlerins, énonçait cela dans son édition de 2014 : « De plus en plus, les gîtes d'étape sont phagocytés par des groupes avec voiture d'accompagnement transportant d'énormes valises, une glacière pour que la bière reste au frais, une table pour le pique-nique du midi [...] De l'avis quasi unanime des hébergeurs, ces gens n'ont rien à faire dans un gîte d'étape, qu'ils utilisent comme une hôtellerie bon marché. »
« Ces entreprises de transport de bagages permettent cependant à des personnes qui ont des problèmes de santé, de pouvoir pèleriner, conteste Mary Sarrazin, bénévole au bureau d'accueil de Saint-Jean-Pied-de-Port. Tous les pèlerins arrivent avec leurs histoires, leurs trajets, leurs envies, leurs exigences, leur physique. Chacun fait son camino comme il le veut. »
« Le chemin à la carte »
Nouvelles pratiques sur un chemin historique. Rémi l'observe tous les jours, au contact des pèlerins qu'il transporte d'une étape à une autre. Son taxi a permis à de nombreux marcheurs d'assouplir la logistique de leur voyage. Conséquences : « Il y a des personnes qui viennent sur le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle, mais ce n’est pas pour faire du pèlerinage. C’est pour faire de la randonnée. Ils font le chemin à la carte et marchent pendant une semaine, dix jours par an, témoigne le chauffeur. Ce sont eux nos clients : des marcheurs qui ont terminé leur périple et qui doivent récupérer leur véhicule là où ils l'on laissé. »
« Cette diminution du nombre de pèlerins qui voyagent au long cours est nettement visible », confirme Jean-Gaëtan Pélisse, propriétaire d'un gîte d'étape à Navarrenx (Pyrénées-Atlantiques).
Et parce qu'on ne pèlerine pas de la même façon sur une semaine que durant un mois et demi, les motivations des pèlerins se multiplient. « De surcroît, le phénomène jacquaire dépasse désormais le seul attrait sportif ou la pratique religieuse traditionnelle pour témoigner d'un besoin social de sens collectif, de ré-enchantement de la société », explique l'Association de Coopération Inter Régionale Chemins de Compostelle (ACIR). En d'autres termes, la pratique de pèlerinage s'est transformée et les pèlerins n'ont plus seulement des motivations religieuses.
Difficile pourtant de questionner un pèlerin sur ce qui le pousse à cheminer : « C'est parfois inexplicable, parfois très personnel, intime », avoue Arnaud. Dans les réponses, les motivations religieuses n'ont plus forcément la part belle. Le défi physique (le fait de marcher 30 kilomètres par jour) gagne du galon, tout comme la quête de soi, la convivialité, la spiritualité (sans être forcément croyant, le fait de vouloir s'échapper un temps soit peu de son quotidien), et la découverte du patrimoine culturel et bâti.
Economie touristique
De ces motivations nouvelles, naissent des demandes particulières. « Il y a une population qui change et des exigences à la hausse, appuie l'hébergeur Jean-Gaëtan Pélisse. On observe une recherche de confort de plus en plus importante. »
En face, c'est une offre novatrice qui se structure, notamment en ce qui concerne les structures d'accueil des pèlerins. D'anciens cheminants, qui ont installé leurs gîtes d'étapes sur le chemin de pèlerinage, et appliquant des tarifs préférentiels pour les pèlerins, ont vu fleurir les chambres d'hôtes, les hôtels et les restaurants.
Selon une enquête réalisée en 2015, par le Parc Naturel Régional des Causses du Quercy et par l'office de tourisme de Cahors / Saint-Cirq Lapopie, 70% des pèlerins dépensent plus de 36 euros par jour, et une personne sur trois dépense plus de 46 euros.
Ci-dessous, une carte où figurent les villages traversés par le chemin de Saint-Jacques de Compostelle, plus particulièrement par le GR65 (la voie du Puy-en-Velay). Nous avons rapporté le nombre de restaurants de chacun de ces villages au nombre d'habitants : ceci est un indicateur de développement touristique de ces villages.
Clé de lecture : Plus le point est rouge plus il y a de restaurants par habitant.
Attention : il fut extrêmement difficile de comptabiliser et de lister tous les restaurants qui se trouvent dans ces villages. Nous avons choisi de ne dénombrer que ceux qui figurent dans les Pages Jaunes.