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La fin du donativo ? 

Du choix de la solidarité ou de la rentabilité

A Navarrenx, voilà 11 ans que Jean-Gaëtan Pélisse (à gauche) tient son gîte d'étape, "l'Alchimiste". S'il organisait un accueil bénévole en libre participation (les pèlerins donnent la somme d'argent qu'ils souhaitent) l'an dernier, il a dû mettre en place un tarif fixe.

Pratique illustrant la solidarité sur les Chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle, le "donativo" (le fait de ne pas appliquer de tarif d'hébergement fixe) est de plus en plus décrié. La différence de traitement juridique en fonction des territoires démontre un vide flagrant dans la jurisprudence commerciale.
« Celui que j’étais m’amène à celui que je suis en train de devenir ». La phrase est inscrite sur une ardoise, elle-même accrochée à un arbre. A Navarrenx, ont dit que "l'Alchimiste" sème ses pensées philosophiques un peu partout sur le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle. Qu'il suffit de suivre ses dictons pour retrouver le dicteur. Et finalement, sans forcément pister ses ardoises, le pèlerin arrive à son repère.
 
Jean-Gaëtan Pélisse, dit "l'Alchimiste" a installé un gîte d'étape pour les pèlerins de Saint-Jacques-de-Compostelle il y a  11 ans. A ses débuts, l'hébergeur a mis en place un accueil bénévole en libre participation (ou "donativo"). Le Miam-Miam Dodo, guide plébiscité par les pèlerins de Saint-Jacques-de-Compostelle, explique le fonctionnement de ces espaces : « Ce sont des hébergements où aucun tarif n'est établi. Cette libre-participation est un choix de la part des hébergeurs qui souhaitent accueillir tous les pèlerins qui se présentent sans aucun blocage tarifaire. C'est pour beaucoup une façon de vivre leur Foi  en étant sur le Chemin et en pratiquant l'accueil.  »
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Pour Jean-Gaëtan, à ses débuts, le projet est complexe. Comment parvenir à faire tourner un établissement sans forcément réaliser de profit ?  « Je ne me suis pas posé la question de la difficulté, explique le propriétaire. C’était quelque chose que j’avais envie de faire. Quelque chose de viscéral. Je ne voulais pas vivre de ça, mais vivre ça. »
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Concurrence déloyale
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Les ennuis arrivent pourtant très vite pour Jean-Gaëtan. « Lorsque j’ai commencé en 2007, le maire du village avait un gite de 40 places, le gite communal comptait 72 places et l’adjoint au maire avait un gite de 15 places. Donc il est évident que lorsque j’ai ouvert, certaines personnes se sont dit : "Celui-là va nous prendre une part de notre gâteau". » Le propriétaire de gîte est dénoncé aux administrations pour travail dissimulé et concurrence déloyale. « Mais finalement, aucune administration n’a pu m’emmener au tribunal », sourit l'hébergeur.
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Elle vagabonde dans les bouches sous le nom "d'esprit du chemin". Sur les sentiers de pèlerinage, la solidarité est partout. Dans les actes, dans l'altérité, dans l'hospitalité, dans la nourriture que l'on sert. A tel point que le Miam-Miam Dodo a cru bon de prévenir les pèlerins qui découvrent le chemin. L'ouvrage, qui guide les marcheurs et qui répertorie tous les hébergements du chemin de pèlerinage, énonce ainsi, dans son édition de 2014 : â€‹
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« Il vous arrivera comme c'est arrivé à de nombreux pèlerins sur ce grand Chemin, de recevoir l'hospitalité de la part d'inconnus, qui seront frappés par votre démarche et souhaiteront honorer leur maison de votre présence. Ce peut être une tasse de café, un repas voire une étape complète. Il serait inconvenant de repousser un tel geste de gentillesse, mais il faut savoir y répondre de manière discrète et appropriée, afin que la chaîne d'amitié, qui tire depuis des siècles femmes et hommes jusqu'à Compostelle, ne se rompe jamais. »
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En cela, l'économie de pèlerinage est une économie à part entière, avec ses propres mécanismes, ses normes, ses coutumes. Le donativo fait partie intégrante de ce schéma. Dans les représentations, la pratique daterait du Moyen-Âge, lorsque les hospices religieux logeaient et nourrissaient à moindres coûts les pèlerins : « Le donativo, c’est du fantasme, rétorque Sébastien Pénari, responsable de l'ACIR Compostelle. Au Moyen-Âge, il n’y avait de la gratuité pour personne. »
 
Cet état d'esprit est difficilement conciliable avec les nouvelles politiques de développement des chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle : « Le donativo peut correspondre à l’esprit du chemin. Mais il peut y avoir des dérives, des revenus non déclarés ou du commerce déguisé, poursuit Sébastien Pénari. Le souci, c'est qu'il n'existe pas de réglementation et de jurisprudence stable sur cette question. »
 
Ici encore, le Miam-Miam Dodo s'avance sur la question : « Il faut savoir que la jurisprudence française est très claire sur ce point. Personne ne peut interdire à personne dans notre pays d'accueillir des gens dans sa maison. Cela fait partie des libertés fondamentales. Ensuite, pour qu'il y ait notion d'acte commercial, il faut que trois conditions soient réunies : une prestation effective, une publicité incontestable et un prix affiché. Si d'autre part l'accueil est limité dans le temps (moins de 24h), si le nombre de personnes accueillies est inférieur à 11 et s'il n'y a pas de contrepartie financière, il ne peut y avoir de concurrence déloyale. »
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Ne reste qu'aujourd'hui, les politiques de développement des chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle, mise davantage sur la rentabilité que sur la solidarité. Et l'ACIR Compostelle le souligne : « Il n'y a aucune honte à dégager du profit sur le chemin. »
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D'autres n'ont pas eu cette chance. C'est le cas de Jean-Marc Lucien, ancien propriétaire de gite d'étape à Saint-Privat d'Allier (Haute-Loire). Le quotidien "Le Progrès" raconte l'histoire de cet hébergeur qui a mis en place un accueil bénévole en libre participation : « En juin 2015, alors qu’il est propriétaire d’une maison d’accueil de pèlerins située sur le chemin de Saint-Jacques à Saint-Privat-d’Allier, il est convoqué par les militaires tandis que les lits de sa maison sont mis sous scellée après une perquisition.  » L'homme recevait 700 à 800 pèlerins chaque année : « la maison d’accueil a très vite représenté un manque à gagner pour les gîtes, hôtels et autres chambres d’hôtes situés dans le même secteur », écrit le quotidien. La répression des fraudes adresse alors un courrier à Jean-Marc Lucien, lui priant d'afficher un tarif. 
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Jean-Gaëtan Pélisse s'y est finalement résigné l'an dernier. Contraint financièrement et administrativement, l'hébergeur de Navarrenx a finalement sauté le pas lui aussi en instaurant un tarif unique de 20 euros par nuit et par personne. « Ça été difficile moralement, témoigne l'Alchimiste. Ça m’embêtait beaucoup de ne pas pouvoir accueillir officiellement celui qui n’a pas de pognon. Ça ne me gêne pas dans mon fonctionnement, mais du point de vue moral, ça me dérange. »
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Le donativo : pratique illégale ?
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A propos
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Etudiant en journalisme à l’Ecole Supérieure de Journalisme Pro de Montpellier, je suis parti à la rencontre d’hébergeurs, d’hôtes, de commerçants, d’acteurs du territoire et bien entendu de pèlerins.

 

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