
La voie d’Arles,
coquille vide du tourisme religieux
A Montpellier, de petits artefacts ronds nichés dans le bitume guident les pèlerins sur le Chemin de Saint-Jacques de Compostelle.
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Trois clous en bronze pour guider des fantômes : face à l’église Notre-Dame-des-Tables, à Montpellier, ces petits artefacts dorés arborent la coquille de Saint-Jacques et orientent quelques pèlerins entre artères et bâtisses. On en compte 300 comme ceux-là au sein de l’Ecusson Montpelliérain. Aujourd’hui, ils intriguent davantage les badauds qu’ils n’indiquent quelque chemin que ce soit. Ainsi va le GR653 : la « Via Tolosana » comme elle se fait appeler. D’Arles au col du Somport, en passant par Montpellier et Toulouse, seulement 2000 pèlerins avalent chaque année plus de 780 kilomètres de marche.
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Très loin derrière « l’autoroute » de la « Via Podensis », qui comptabilise tous les ans près de 15 000 marcheurs au départ du Puy-en-Velay, la voie d’Arles est le mauvais élève des chemins Français. « C’est un itinéraire qui souffre : le seul qui semble connaître une diminution continue de fréquentation », admet Sébastien Pénari, chargé de communication de l’Association de Coopération Inter Régionale des Chemins de Compostelle (ACIR). Créé en 1990, l’organisme tente de donner un second souffle à cet itinéraire, à coups d’exposition, de conférences et d’animations culturelles, histoire de convertir les néophytes en cheminants invétérés.
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Entre Arles et Saint-Jacques-de-Compostelle, la « Via Tolosana » fait partie des quatre chemins majeurs de pélerinage en France. La voie d’Arles connaît une baisse continue de sa fréquentation. Ils étaient moins de 3000 en 2014, ils sont près de 2000 pèlerins cette année.

La Voie d'Arles, ou Via Tolosana, est la route la moins empruntée de tous les chemins de pèlerinage français qui mènent à Compostelle. (Crédit Photo: ACIR)
Chemin boudé
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La voie d’Arles, c’est l’alternative, « l’autre » chemin. Celui qui vient après les autres : la dernière pièce à acquérir pour ceux qui collectionnent et accumulent les kilomètres. « En général, le peu de pélerins que nous rencontrons ici a déjà parcouru la voie du Puy-en-Velay, souligne Mathilde Lastieu, en pélerinage sur le GR653. Ce sont des marcheurs expérimentés. » Certaines localités n’enregistrent que 10 passages par jour. « Depuis le début de notre périple avec mon amie, nous n’avons rencontré qu’un couple de Belges et deux pélerins de Gap, confie la cheminante. C’est un chemin où l’on se sent très seul. »
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A ceci près qu’entre Montpellier et Toulouse, la « Via Tolosana » traverse deux grandes agglomérations de part en part. Or le pèlerin n’aime pas la ville. Il la fuit, la traverse au pas de course, et va jusqu’à utiliser les transports en commun pour échapper à la foule. De quoi freiner quelques jacquaires en quête de tranquilité : « Ca nous effraie de passer par ces deux grandes agglomérations, avoue Mathilde Lastieu. Nous savons que ce sont deux villes superbes : mais un pélerinage, ce n’est pas un contexte approprié pour visiter. »
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L’église Saint-Roch à Montpellier, où sont accueillis les pélerins de Saint-Jacques-de-Compostelle. Ici, ils peuvent y demander logis, et faire tamponner leur crédential (leur passeport de pélerin). (Crédit photo : Alexandre Duret-Lutz)
Carence sur le GR
De nouveaux services, pas toujours en adéquation avec les préceptes du pélerinage traditionnel, font leur apparition : transport de bagages d’une étape à une autre, hôtels et hébergements pour de l’accueil de masse… « Le tourisme et les structures qui s’y rattachent sont loin des réalités jacquaires : ils dénaturent le chemin, appuie Robert Latreille, président de l’Association des Amis des Chemins de Saint Jacques de Compostelle (Languedoc Roussillon). Les cheminants du XXIe siècle n’ont plus rien à voir avec les pélerins d’antan. Il y a une modification de l’état d’esprit de ceux qui marchent et de ceux qui hébergent. » Mathilde Lastieu, de par son expérience de cheminante, va dans le sens du président : « Les pélerins ont besoin de parler lorsqu’ils finissent leur marche : dans les hôtels, il n’y a pas ce rapport humain ».
La voie d’Arles ne comprend que trop peu de structures d’accueil adaptées au pélerinage. « Non seulement c’est devenu très commercial, mais il y a une carence d’hébergements adaptés au pélerinage sur la voie », observe le président de d’association. A Montpellier, l’ACIR ne recense que deux hébergements plausibles pour les pélerins : une auberge de jeunesse et le gîte du « Chemin Faisant », tenu par Alain Carillo. Ancien cheminant, l’hôte n’a accueilli que 130 pélerins en 2016, mais aimerait sensibiliser les acteurs du territoire pour développer la voie : « Il y a un important travail à réaliser auprès des élus pour sauvegarder ce patrimoine culturel ». Une affaire qui doit encore faire son petit bonhomme de chemin.